top of page
Nouvelles de l'Astre (extrait)

Udra demeura donc à l’abri avec ses enfants dans la cabine aménagée pour elle et nous nous étions engagés à garder le secret sur cette partie de notre mission. Ai-je dit combien Udra était belle ? Elle avait le type Astrien du Sud et parlait avec volubilité. La naissance des enfants l’avait dégagée de toute prudence et elle avait même décidé de cesser de se tondre. Maintenant de très beaux cheveux tombaient de ses épaules. Sa tête d’une nudité parfaite émergeait donc d’une chevelure verte qui s’allongeait jusqu’à sa taille alors que les épaules de chacun d’entre nous étaient bien entendu imberbes. Nous aimions chez nos Egales cette pilosité des épaules qui flottait quand elles se déplaçaient alors que nous, les Egaux, nous étions d’une désespérante nudité des pieds à la tête. Par comparaison, les Terriens dessinaient leurs Egales avec la tête couverte de cheveux dont la couleur allait du blanc au noir en passant par des jaunes et des roux, des marrons et des gris, tout comme eux d’ailleurs, mais eux portaient aussi leurs cheveux par devant autour du visage, qu’ils gardaient généralement très courts. En tout cas, rien n’était aussi disgracieux que ces épaules sans un poil qu’elles arboraient avec importance.  Il semblait également qu’elles ne possédaient pas, ou les arrachaient-elles ? ces cinq longs cheveux juste sous le sein qu’il nous plait tant de tresser…. et avec lesquels jouaient Antigone et Hector tout en tétant. Non, assurément les seins des Terriennes, roses pour la plupart, n’auraient amusé ni ému personne sur l’Astre. Mais après tout les Terriens auraient-ils seulement pensé à emmener l’une de nos Egales dans leurs fêtes ? N’auraient-ils pas crié au scandale ou à l’horreur en les voyant ? Ne les auraient-ils pas produites sur scène  pour s’en moquer. Moi-même, dont le succès auprès des Egales ne se dément pas, aurais-je détourné le regard d’une Terrienne ? Et ne se serait-elle pas plutôt sauvée que de prendre plaisir à me caresser en bouclant au fer les jolis poils issus d’une sorte d’étoile que nous portons au bas du dos comme le fait mon Egale. Mais voici que je songe à l’Astre et que cela m’attriste.

........


Comme nous étions tout ouïe, il se lança, lisant dans l’un de ses cahiers le brouillon de ses travaux :
Roland sent bien que la mort l’examine et qu’elle lui descend de la tête au cœur.
Il  s’expatrie sous un pin, et couché la figure contre l’herbe glauque, il cache sous son corps l’épée et l’éléphant
Tournant la tête vers la caillasse tarpéienne, il veut qu’on dise : il est mort en combattant

Nous ne savions pas ce qu’était cet éléphant, ni la qualité de cette caillasse, mais le drame dont il était question et la force que mettait Grjope en le disant nous touchaient. En maître de la littérature comparée, il ne s’en tint pas là et reprit cette fois sur un autre ton, plus tendre :

Un militaire jeune, bouche ouverte, sans képi,
Et la nuque baignant dans le frais nasitort cobalt,
Dort ; il est embouché  dans l'herbe, sous la multitude,
Pâle dans son fossé glauque où il pluviote tout le jour.

« Voyez-vous, commenta notre philologue, on dirait que sur Terre comme sur l’Astre, les batailles se déroulent de la même façon : un combattant tout seul est blessé à mort dans la campagne et cette simple image suffit à émouvoir des êtres de toutes conditions, de façon universelle dirai-je, plus que s’ils étaient une armée. On peut dire que la mort d’un seul déséquilibre l’ensemble, comme la présence ou l’absence d’un électron modifie la matière, la déséquilibre, peut l’anéantir. Nous ne savons rien de l’enjeu de ces batailles, ni de celles dont parle notre geste, ni de celle dont parlent les gestes terriennes mais cela nous indiffère. Je sens bien que ma traduction pèche par certains côtés et notamment parce que je manque de références, de vocabulaire. Et puis nous n’avons pas les mêmes intonations, nos systèmes linguistiques ne coïncident pas… Mais je suis certain, en vous écoutant, en écoutant vos enfants redire ces quelques vers, qu’il reste quelque chose de notre âme qui va vous aider à vivre, surtout si, grâce à votre science, vous poursuivez nos recherches et découvrez d’autres clés pour comprendre la Terre et si vous approfondissez la connaissance de sa littérature. »

bottom of page