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Corot : Un soir sur l'étang (1871)

Elle n'apparaissait qu'au bord de l'eau, juste avant la nuit, couleur d'ombe déjà, nimbée d'or pâle, comme un astre à peine effleuré de soleil, et de savoir que cette lumière ne lui était pas destinée, qu'elle la recevait par hasard, ne lui déplaisait pas, elle se faufilait sous les herbes les plus hautes, rectifiait l'alignement des peupliers qui protégeaient les abords de l'étag, alors palpitaient les ailes irisées des demoiselles, murmuraient d'innombrables insectes entre ciel et eau, puis le tout immobile et silencieux s'enfonçait dans l'ombre à l'approche des grands cerfs, tandis que s'élevait comme un chant métaphysique auquel ne puvait répondre qu'une plus évidente approche de la nuit mais elle ne levait pas la tête, nous nous tenions par la main, couchés à quelques pas, les paupières presque closes, depuis au moins trois heures nous étions sous l'influence des croassements et des vrombissements, des glissements et des frottements sonores, du saut des carpes et des frôlements, entre la surface et l'air se produisaient des ajustements, bulles et giclures où s'infiltrait la lumière, où se jouaient les iridations des écailles, poissons et papillons côte à côte, le fond de la barque où toujours stagne l'eau avait imprégné nous vêtements dune humidité tiède que nous craignions de quitter, conscients du froid que le soir amène avecce vent qui déjà courbait les roseaux et ameutait les branches des grands chênes, certaines feuilles déjà mortes trouvaient un courant favorable pour atteindre en une longue courbe la surface de l'eau, puis tournaient longtemps avant de buter contre le tronc délité d'un arbre touché par la foudre voici deux ans maintenant, où la mousse s'est installée, et que choisit pour ses formes montageuses le martin-pêcheur à l'affut d'une prise, seul de tous les animaux le brâme ne l'intimide pas, il fonce, et s'élève, tourne et se pose encore, tant que dure le soir.

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